Anashti Sul ou l'art d'être newb

[Emlar_from_Halas]

Sur l'esplanade du Temple de la vie, déserte à cette heure tardive de la nuit, seul le faible bourdonnement d'une magie millénaire se fait entendre. Ce miracle d'origine divine maintient le temple dans cette stase hors des impératifs physiques de Norrath depuis que les hommes ont fondé Qeynos. Est ce un principe similaire qui régit les lois du Néant ou s'agit-il d'une simple coïncidence ?Dans cette fin d'été, l'atmosphère est douce. La nuit a apporté une légère brise chassant les réminiscences des chaleurs diurnes. La ville dort paisiblement, profitant de ces quelques heures de sommeil paisible auxquelles l'activité humaine aspire après tant d'efforts concédés et une vaine lutte contre le cycle des saisons. Le monde vibre donc d'une fragile harmonie. Un de ces rares instants d'osmose entre les hommes et la nature.Pourtant, l'écho de gémissements viennent troubler ce fragile équilibre. Des hoquets de désespoir viennent ponctuer le frémissement intemporel du temple. En y regardant de plus près, un oeil aguerri finirait par localiser la source de cette perturbation. Dans l'ombre des murs qui ceinturent le bassin, accroupi, l'épaule calée contre les pierres rugueuses, un pauvre hère se lamente. La tête enserrée entre des mains griffues, vêtu de hardes pitoyables, l'homme fait penser à un oriental des sables coulants. Ses membres sont grêles, voire squelettiques et son désespoir patent.A intervalles irréguliers, il lève un poing rageur vers la sphère tu temple, nimbée de son aura divine et il profère à son encontre quelques propos amers. Mais la langue dont il se sert résonne de curieuses syllabes atonnes. Un érudit y aurait pu reconnaître les murmures de la mort, mais ses propos ne trouvent aucune oreille compatissante.A quelques lieues de Qeynos, bâtie sur un promontoire rocheux qui lui permet de dominer la cité, la tour de l'Oracle étend sa gracieuse flèche vers le mur étoilé de la voute céleste. Dans la salle des visions qui constitue le dernier étage, deux personnes se tiennent de part et d'autres d'une imposante boule de cristal animées de zébrures multicolores. L'une est une vieille femme. Sa peau parcheminée laisse deviner le contour des os saillants. Elle est vêtue d'une longue robe diaphane bleue  et le chignon qu'elle a constitué avec ses longs cheveux gris retient un voile attaché légèrement en retrait à l'aide d'une délicate épingle. En face d'elle, un morveux portant une tunique affreusement usée et sale lui sourit avec un air narquois.- Ne t'avais je pas dit qu'ils y arriveraient ? Lui demanda la vieille femme d'une douce et chaleureuse voix, comme si elle soulignait une évidence.- Je n'ai pas souvenir de vous avoir contredit, Mère, lui répondit le gamin dont les yeux pétillèrent de malice.- Et pourtant tu ne les as guère encouragés- J'ai remarqué, avec le recul du temps, que ce Barbare répondait plus favorablement aux sarcasmes qu'aux sollicitations.- Ce disant, ne prends tu pas le risque d'aiguiller le destin et choisissant la façon dont tu l'incites à agir ?- Bien sur, Mère ! Répondit le gamin comme s'il avait été tancé. "Mais c'est me donner plus de crédit que je n'en mérite. Ne dites vous pas toujours que le destin trouve toujours le moyen de se réaliser en dépit de l'action des hommes ?"- C'est vrai.- Et je ne suis qu'un homme.La vieille femme se mit à rire d'un air gentiment moqueur- Loin de là mon enfant. Loin de là.Quelques heures auparavant, la confrérie se retrouve dans le grand hall de guilde qui lui tient lieu de repaire à quelques encablures de Port Franc.Les nouvelles sont mauvaises. L'absence conjuguée de Maeleth et de Moejzyl vient de balayer leur stratégie avec une soudaine brise sur un jeu de cartes.- Je dis que ça se tente sans eux ! A force de tout faire à neuf soigneurs, on est devenu trop prudents, clame une Beeboo résolument offensive.- On pourrait peut être faire appel à Wiak, le shaman ? Propose Namri conciliant.- Et Mael nous dit qu'elle pourrait convaincre Feanoril de la remplacer, rajoute Potak.- Mouais...Le Barbare est inquiet. Leur défaite trois jours en arrière l'a plongé dans un abîme de perspicacité.Pourtant les propose du gniard étaient encourageants.- Se pourrait-il que ce sale gamin se soit payé ma tête ? Se demande-t-il.A force de s'interroger sur leurs capacités, Emlar a finit par trop s'en remettre aux visions des Oracles. Il le sait. Ça le fait chier. Mais le sentiment indicible que la volonté des Dieux imprime sa marque, y compris dans les actions d'éclat de la confrérie, est un sentiment dont il lui est difficile de se défaire.La visite du gamin de la tour de l'Oracle la semaine précédente éclaire d'un jour nouveau leur confrontation actuelle.La matinée s'achève lorsqu'un garde introduit le gosse dans le bureau des raids. Le morveux est dégoûtant, mais le garde le connait pour ce qu'il est. Alors en dépit de son pincement de nez et du jugement manifestement déplaisant qui l'anime, il a escorté le gamin jusqu'ici.Sans attendre d'y être invité, ce dernier s'assied sur l'un des deux lourds bancs de chêne, tandis que le garde tourne les talons et s'éclipse.- Qu'est ce qui me vaut la joie de ta visite le Gnome ? Demande, en soupirant, le Barbare.- J'ai du me tromper, rétorque l'impétrant.- Tromper de ?- Tromper de guilde, répond le mioche en souriant.- Ecoute ! J'ai du boulot, je comprends rien à ton baratin, alors essaye d'être plus clair ! S'emporte le Barbare, les mains posées sur ses cuisses dans un manifeste effort pour ne pas s'enflammer plus que de raison.- Vous êtes bien la guilde qui prend rouste sur rouste par la Créatrice de non vie ?Les sourcils du guerrier s'arrondissent sous l'effet de la surprise. Sa bouche décrit un O parfaitement circulaire. Il parvient à émettre un son:- Euh... - C'est bien vous qui luttez pathétiquement contre une invasion d'horreurs issues de Ses portails d'invocations ?- Et bien...- Et c'est bien toujours vous qui enrichissez ridiculement le réparateur nain que j'ai croisé à l'entré de votre Hall de guilde ?- Put-ain, le mioche, je vais t'arracher la peau du dos ! Fulmine le Barbare dont la moustache se retrousse sous l'effet de la colèreLe gamin croise nonchalamment les jambes, avant de rajouter:- Et tu sais que tu n'en feras rien... sinon, je n'aurais pas pris le risque de me trouver aussi prêt de toi.Les secondes s'écoulent pendant lesquelles Emlar, les yeux clos, tente de retrouver son aplomb. Comme il commence à se détendre, le gamin reprend d'un ton neutre, exempt de tout sarcasme:- La Mère des présages a eu une vision à votre sujet.- T'as perdu ton pouvoir ?- Non, j'en ai eu aussi, et des pas terribles. Mais La Mère pense que la sienne est plus de nature à vous aider.Nouveau soupire du Barbare- Elle vous a vu aux prises avec Celle qu'on ne nomme pas dans les salles de son palais dans les landes d'Ykesha.- Oui, je me doute. Vu le temps qu'on y passe...- Mais dans sa vision, il n'y avait aucun portail.- Tu veux dire qu'il existe un moyen de bloquer tous ces put-ains de noms de Dieu de lien avec le Néant.- Evidemment ! Que crois tu que les Dieux se sont acharnés à faire pour se débarrasseré d'Elle ?- Mais Elle n'arrête pas de les récréer !Le gamin souffle, manifestement dépité par le faible entendement de son interlocuteur.- Chaque lien avec le néant est une déchirure entre deux réalités opposées pour laquelle La Mère des mort-vivants doit dépenser une formidable énergie afin de les garder ouvert.- Et ?- Et comme vous connaissez déjà le moyen de les refermer, peut être devriez vous vous y employer.- Mais, punaise, c'est ce qu'on n'arrête pas de faire !- Ah oui ? T'es vraiment sur ?Le Barbare lêve les yeux vers le plafond et passe en revue leur strat actuelle. Cela ne prend que quelques secondes, qu'il ponctue d'un:- Par les couilles Du Tribual !Le gamin est sur le point de sortir du bureau, lorsque le guerrier l'interpelle:- Et tes vision à toi elles donnent quoi ?Le gniard se retourne et confie:- La Mère m'a demandé de révéler sa vision, pas les miennes.- Je ne t'ai pas toujours connu aussi scrupuleux...Le gamin se cure consciencieusement le nez avant de répondre:- Tu as raison, elle ne m'a pas interdit d'en parler.- Alors ?- Namri sera tout ravi, Mebriel clamera au ciel et Emlar fera le vantard.- Et ?- Ben... c'est toutEt sur cette déclaration, le gamin tourne les talons et disparaît à son tour.Dans le hall, la situation est donc tendue. On est à deux heures du raid et la composition s'annonce délicate.- Au moins on ne manquera pas de regen mana, abonde Mardryss dans une tentative pour remonter le moral de ses troupes.- C'est sur qu'avec six enchanteurs étourdits toutes les cinq secondes, on aura du regen. Mais du dps par contre... L'avis éclairé d'Elpie sur le sujet n'est pas fait pour rassurer.- Si au moins on avait Genki à nos cotés ! S'enflamme Mebriel dont la chevelure d'or contraste avec ses robes.- Il est pas là, faudra faire avec. Mais j'ai quand même l'espoir que mon message le trouve... confie le BarbareA ce moment, le pavé du hall résonne sous les pas ferrés d'un porteur de plates. A la surprise générale, c'est Moejzyl qui arrive, le casque sous le bras. Ce dernier fulmine, les mâchoires serrées:- Si je chope le crétin qui avait perdu mon relevé de banque. Ce crétin de batelier refusait de m'amener ici faute de crédit ! Avec les milliers de platines que j'ai en banque !!- T'es là, c'est le principal. Tente de le calmer le Barbare, manifestement rassuré par sa présence- Y'a qu'un truc que je pige pas, commente Ocoitah à son tour, c'est que du coup, on va y aller avec une armées de prêtres alors qu'on sait qu'avec Anashti, le temps nous sera compté.- Ouais, enfin si on trouve le moyen de combattre plus de deux minutes, ajoute Zultag un poil dépité.- La Mère des Présages a été très claire. Ce problème est derrière nous.- On verra bien...Plusieurs heures plus t-ard, après plusieurs ajustements de composition, une diminution du nombre de soigneurs et un paquet de wipe derrière eux, les membres de la guilde sont aux prises avec la Maîtresse des mort-vivants. Sans brigand, ce combat n'a pas de sens. La limite des huit minutes a déjà été fatale à deux reprises à la confrérie. Genkidama ayant miraculeusement fait son apparition et Ekam lui ayant courtoisement laissé sa place, le combat a pris une nouvelle tournure. Mais le temps joue doublement contre la confrérie. Car le portail d'accès à Anashti Sul est lui aussi limité. Et cette limite est diablement proche en cette heure tardive de la nuit.Le premier indice du succès se confirme aux alentours de la cinquième minute lorsque Anashti Sul vocifère son chapelet d'injures.L'emploi des murmures dont ses disciples ont fait un langage n'épargne, hélas pas, les combattants. Ses mots, emprunts d'une puissante magie, étourdissent les hommes et ébranles les volontés les plus inflexibles. A plusieurs reprises, elle désarme le Barbare en le maudissant.Dans ces périodes, les mains vides, les secondes s'égrainent lentement. Au rythme des coups de boutoir qu'elle lui larde le corps.Le combat pourrait se poursuivre ainsi indéfiniment. Sauf qu'Anashti dispose d'une arme dont elle a déjà fait usage à deux reprises ce soir.Et ce fatal moment se reproduit de nouveau. La lassitude nous étreint. Brisant notre volonté sur le rempart de sa force Divine. Les coups font alors mal. Horriblement mal. Mais il nous faut tenir. Tenir encore...Dans un brouillard de sang et d'hébétude, Emlar ne la verra même pas tomber.Il a vaguement entendu le cri simultané de Khiva et de Valmorgul invoquant le verdict.L'instant d'après, elle git au sol. Frêle créature dont la corpulence n'est pas sans lui rappeler celle de la Mère des Présages.Il ne saurait dire si Namri est ravi ou si Mebriel a encore la force de lever les bras au ciel. Mais il est sur de ne pas avoir la force de se vanter. Du moins pas ce soir...Sur l'esplanade du Temple de la vie, l'aube point. Apportant la promesse d'une nouvelle et chaude journée.Le pauvre hère qui répond au nom de Dul'Sadma se redresse. Il agite une dernière fois son poing rageur en maudissant le nom de Rodcet'Nife puis il file comme un voleur vers le port dans l'espoir d'y trouver un navire en partance vers Maj'Dul.

[Soffrina]

Très bon récit Emlar