Lah
02-22-2005, 05:46 PM
Les serveuses s'affairaient dans l'auberge du Rat Ivre, face au Port de Qeynos. Car même si le barde avait terminé ses récits et ses chants depuis longtemps, le désordre et les verres qui roulaient au sol ne plairaient pas au tenancier demain matin. Comptant ses pièces, la soirée fut bonne, le barde s'épongea, épuisé, toussa et sortit dans un sourire par la petite porte arrière. C'est la lanterne éteinte mais encore chaude qui l'alerta. Deux derrière lui, deux devant, peu armés mais dangereux comme tous ces malfrats des quais, rompus aux rixes et aux rapides coups de rasoir. Il vit la couleur poisseuse et caractéristique d'un poison vulgaire sur leurs lames. "Ton or, femelette, vite... ou tu ne chanteras plus jamais" Le barde ne répondit pas, mais leva lentement les yeux vers le chef des agresseurs. La trentaine, il était massif et musclé. Probablement un porteur de caisses qui avait mal tourné. Mais quand il plongea les yeux dans ceux du barde, il blèmit soudain. L'attaque par derrière fit long feu, le genou du barde s'était dérobé, le couteau frappa l'air. Le barde entama un échauffement gutturral, pour se caler sur les vibrations du corps humain, tout en plantant sa dague droite dans l'aorte d'un assaillant et le poignard gauche dans le foie d'un autre, juste derrière. Son ouïe entraînée par les exercices entendait séparément chaque souffle, chaque muscle et chaque déplacement de vêtement dans la ruelle, et ses yeux d'elfe n'avaient même pas besoin de vérifier en infravision les mouvements des malfrats. Il dansait, comme un chat, passait derrière l'un, esquivait l'autre, se baissait et virevoltait comme un démon. Les cris et gémissements étaient un joli prélude, se dit-il, mais maintenant sa voix était placée, le bourdonnement dans sa gorge résonnait avec le coeur des humains autour de lui, avec leurs nerfs et leurs veines. Il lâcha son cri comme un fouet, et deux coeurs s'arrêtèrent net. Il aimait ce moment, son cri lui semblait alors une mélodie de mort, de totalité, une punition des chairs et des corps. Il se rapprocha du dernier assaillant, plus jeune, les cheveux en bataille, plié en deux sur son abdomen saignant. "Pitié, messire, s'il-vous-plaît, je... argh... je ne voulais pas, j'ai juste suivi... argh... pitié" La ruelle n'était plus que silence. Et les premières lumières loin, si loin là-bas, vers les gardes du quai, si loin, si loin. "A quoi bon" dit le barde en détachant ses mots. Il pensa à Anakior, aux regrets, à la vie. Et il cria à nouveau.(Plus de textes sur notre site de guilde si vous aimez ce genre de petites choses et que vous n'aimez pas attendre)